Les 7 incompréhensions sur la Growth en France
Un Jeudi comme un autre, 11h32. Je reçois un message sur LinkedIn : “Bonjour Romain, je te contacte car j’ai vu ton profil et il a attiré mon attention...” Jusqu’ici tout va bien. Mais quelle ne sera pas ma surprise quand je découvrirai le contenu de l’offre d’emploi pour laquelle on me contacte. Des missions presque uniquement centrées sur la publicité payante. Une réussite uniquement mesurée au nombre de prospects générés. Aucune mention d’un quelconque travail sur le produit.
Le problème, c’est que des offres de ce type, j’en reçois presque toutes les semaines. Et au-delà des offres que je reçois, lorsque je parcours LinkedIn et que je lis les publications de certains “experts” autoproclamés de la Growth, je me dis qu’il n’est pas étonnant qu’on en soit arrivés là.
Je constate qu’en France, on a encore un réel problème à bien comprendre ce qu’est la Growth et ce qu’elle englobe. Et nombreux sont les a priori négatifs qui en découlent. Je vais donc essayer dans cet article de lister les 7 plus grosses incompréhensions (selon moi) sur la Growth en France. Ce sera l’occasion également pour moi de définir quelle est ma vision de la Growth, sujet qui me passionne depuis plus de 4 ans.
À retrouver dans cet article :
- Ça n’est pas que de l’acquisition
- Ça n’est pas que du marketing
- Ça n’est pas trouver des “hacks” par hasard
- Ça n’est pas que de l’automatisation
- Ça ne se travaille pas qu’en dehors du produit
- Ça ne remplace pas un bon produit
- Ça n’est pas la mission d’une seule personne
- En Bonus
Incompréhension n°1 : La Growth, ça n’est pas que de l’acquisition
Je vous parlais en introduction des offres d’emploi que je reçois régulièrement et qui passent à mon sens complètement à côté de ce qu’est la Growth. Dans ces offres qui représentent une énorme partie de celles que je vois passer, on retrouve deux grandes missions principales qui écrasent toutes les autres :
- L’acquisition de trafic payant (SEA, SMA, Display...)
- La génération de leads, généralement via des automatisations LinkedIn
Il s’agit là de 2 missions d’acquisition. Or l’acquisition, bien que nécessaire, ne représente qu’une partie seulement du périmètre de la Growth. En effet, l’un des fondements de la Growth est son approche transversale du parcours client ou utilisateur, notamment à travers le modèle AARRR :
- Acquisition : Comment les gens découvrent le produit (ou service)
- Activation : Comment les gens comprennent et expérimentent la valeur ajoutée du produit
- Retention : Comment les gens continuent d’utiliser le produit
- Referral : Comment les gens parlent du produit à leur entourage
- Revenue : Comment le produit génère de l’argent
Puisque cet aspect transverse est l’un des fondements de la Growth, on ne peut proposer à un Growth Manager ou Head of Growth de ne travailler que sur l’acquisition. Bien sûr, si une équipe Growth est déjà en place, elle peut chercher à recruter des membres plus spécialisés, la mission transverse reposant alors sur l’équipe au global plutôt que sur un seul individu. Mais dans ce cas, il sera plus logique d’intituler le poste en rapport avec cette mission plus spécialisée, plutôt que de simplement la nommer “Growth hacker” ou “Growth marketer”.
Incompréhension n°2 : La Growth, ça n’est pas que du marketing
J’entends parfois des personnes dire que finalement, la Growth ça n’est qu’un nouveau mot à la mode pour désigner le marketing. Il me semble pourtant qu’il existe deux différences majeures entre la Growth et le marketing.
Tout d’abord, et comme on l’a dit dans la partie précédente, la Growth a une approche transverse de l’ensemble du parcours utilisateur ou client, là où le marketing a tendance à se concentrer sur l’acquisition et, éventuellement, l’activation. Alors bien sûr, vous pourriez me rétorquer que théoriquement le marketing est censé avoir cette approche transverse. Et je serais d’accord. Mais dans les faits, on remarque que la plupart du temps ça n’est pas le cas, et qu’on s’est peu à peu écartés de la définition théorique.
L’autre différence majeure entre la Growth et le marketing est l’expérimentation. En effet, l’objectif de la Growth est de tester en permanence de nouvelles choses, de mener des expériences afin de toujours mieux comprendre son moteur de croissance. Les expériences réussies seront industrialisées, parfois par une autre équipe, et les expériences “ratées” apporteront tout de même de riches enseignements.
Ces deux aspects de la Growth amènent à devoir utiliser des compétences variées, à mi-chemin entre marketing, analyse de données et développement. On peut donc difficilement dire que la Growth se cantonne à des missions purement marketing.
Incompréhension n°3 : La Growth, ça n’est pas trouver des “hacks” par hasard
Un des termes les plus galvaudés de la Growth en France est celui de “hacks”. Cela vient du fait que le terme de “Growth Hacking”, popularisé par Sean Ellis, a été très mal compris. C’est ce qui m’amène à désormais parler de “la Growth” plutôt que “du Growth Hacking”, alors que je suis à la base très aligné avec le discours de Sean Ellis.
Au-delà de la simple appellation des choses, la mauvaise compréhension du terme de “hacks” a amené beaucoup de gens à attendre d’une équipe Growth qu’elle trouve des hacks, tels des coups de baguette magique qui doperaient d’un coup la croissance. La popularisation de “hacks célèbres” comme ceux de la signature Hotmail ou de la publication des offres AirBnb sur Craigslit a donné l’impression à beaucoup de personnes qu’il suffirait de recopier ces hacks pour garantir sa croissance.
Pourtant, le plus intéressant dans la Growth à mon sens, ça n’est pas les hacks qu’on a trouvés, mais quel a été le processus qui nous a amenés à découvrir ces bonnes idées. Car un hack ne peut se transmettre d’une entreprise à une autre, puisque sa réussite dépend du contexte. Mais un processus qui permet de trouver des idées adaptées à son contexte est, lui, universel.
Ce processus, c’est le Growth Hacking Process, lui aussi popularisé par Sean Ellis (décidément !). Il consiste à générer des idées d’expériences, puis à les noter grâce au ICE Scoring (dont j’ai déjà parlé dans mon article sur les automations). On mène ensuite les expériences ayant les meilleurs scores, puis on mesure les résultats de ces expériences. C’est cette façon de procéder, inspirée par le concept “Build, Measure, Learn” du Lean Startup, qui permet de trouver ce qui marche réellement dans notre contexte plutôt que de recopier ce qui a fonctionné ailleurs.
Si vous souhaitez creuser ce point, je vous recommande la lecture de l’article de Mélanie Almeida, qui revient notamment sur le regard porté par Sean Ellis sur un terme qu’il a lui-même inventé.
Incompréhension n°4 : La Growth, ça n’est pas que de l’automatisation
Oui, je sais, mon précédent article traitait des automatisations dans la Growth. Mais ça n’est pas parce que je considère que c’est un sujet intéressant qu’il faut cantonner la Growth à ça ! Pourtant, on peut parfois avoir l’impression que la Growth doit tout automatiser.
Elle ne doit pourtant automatiser que ce qui a prouvé qu’il fonctionnait déjà ! Lorsque vous mettez en place une nouvelle expérience, si vous mettez un temps important à faire en sorte qu’elle soit automatique, et qu’au final elle s’avère être un échec, vous aurez gaspillé ce temps pour rien.
Dans certains cas, les expériences nécessitent d’être menées de façon automatisée. Si je mène un AB Test sur mon site, je vais être obligé d’utiliser un outil d’AB Testing pour cela. Mais dans d’autres cas, il peut être tout à fait envisageable de mener toute l’expérience (ou une partie) manuellement, le temps de voir si l’idée fonctionne. Il sera toujours temps de l’automatiser dans un second si elle s’avère être un succès.
Incompréhension n°5 : La Growth, ça ne se travaille pas qu’en dehors du produit
Dans beaucoup d’entreprises françaises, on constate que l’équipe Growth est tenue éloignée du produit. Et dans la plupart des offres, le mot “produit” n'apparaît même pas. C’est pourtant en agissant sur les mécanismes au cœur du produit qu’on peut obtenir de puissants leviers de croissance.
L’un des leviers les plus intéressants réside en effet dans les Growth Loops. Pour ceux qui n’auraient pas lu mon article précédent, une Growth Loop est un système composé de plusieurs étapes, et dont la dernière étape alimente en partie la première, de sorte qu’un phénomène d’auto-compensation se crée. Elle se différencie donc d’un entonnoir de conversion par le fait que la sortie est en partie réinvestie dans l’entrée, et présente donc un intérêt bien supérieur.
On compte trois principales boucles de croissance :
- Les Acquisition Loops : par exemple, TikTok laisse ses utilisateurs diffuser leurs créations sur d’autre plateformes ce qui attire de nouveaux utilisateurs
- Les Retention Loops : par exemple, la notification Instagram qui nous fait revenir à l’application lorsqu’un ami poste une nouvelle photo
- Les Referral Loops : par exemple, le système de parrainage de Dropbox offrant du stockage supplémentaire au parrainé et au parrain
Vous remarquerez que je n’ai pas choisi mes trois exemples par hasard. Dans chacun d’entre eux, il s’agit de Growth Loops se situant, au moins en partie, à l’intérieur même du produit. Et pourtant, chacun de ces exemples représente l’un des facteurs de croissance les plus importants des entreprises concernées. Alors, qui a dit que le produit ne concernait pas la Growth ?
Incompréhension n°6 : La Growth, ça ne remplace pas un bon produit
Une des plus mauvaises raisons de vouloir embaucher une personne en Growth est sans doute celle de ne pas réussir du tout à vendre son produit à ses clients. En effet, nombre d’entrepreneurs ou de dirigeants pensent que la Growth va apporter un coup de baguette magique et faire décoller d’un coup l’entreprise. Pourtant, la Growth, ça ne remplace pas un bon produit !
Un produit doit avant tout être adapté à son audience cible et atteindre ce que l’on appelle le PMF : Product Market Fit. Autrement dit, un alignement parfait entre la valeur apportée par le produit et l’aspiration profonde d’un groupe de personnes donné.
Lorsque ce PMF est présent, alors les stratégies et techniques de Growth vont pouvoir s’appliquer afin d’optimiser la croissance du projet. Mais appliquer ces méthodes à un produit qui ne sert à personne n’arrangera jamais la situation, ou seulement artificiellement pendant un temps.
Cependant, il faut tout de même noter que certains concepts de Growth peuvent s’intégrer dès la phase de création du produit, afin de garantir que certains mécanismes de croissance soient présents dès le départ. Comme je le disais dans la partie précédente : la Growth, ça n’est pas qu’en dehors du produit !
Incompréhension n°7 : La Growth, ça n’est pas la mission d’une seule personne
La Growth est à la fois une approche très stratégique et à la fois un métier dans lequel on construit ses expériences soi-même. Et comme on le disait précédemment, elle se situe à mi-chemin entre marketing, analyse de données et développement. Ces deux facteurs entraînent des missions à la fois nombreuses et extrêmement variées.
L’idéal va donc être, lorsqu’une entreprise grandit, de pouvoir construire une équipe Growth complémentaire avec des membres aux spécialités différentes. Lorsque l’on a cette possibilité, la faculté de l’équipe à produire des expériences et à améliorer continuellement son modèle de croissance s’en voit augmentée. La Growth est donc avant tout un sport d’équipe !
Et au-delà du périmètre de l’équipe Growth, la diffusion de son état d’esprit au travers de l’entreprise et de toutes les autres équipes ne peut qu’être bénéfique. Croyez-moi : il n’y a rien de plus satisfaisant que de se rendre compte que la culture Growth s’est tellement diffusée que les autres équipes ont une approche itérative et expérimentale par elles-mêmes, spontanément.
Incompréhension Bonus : Non, la Growth, ça n’est pas du bullshit
Beaucoup de personnes en France considèrent que la Growth, ça n’est que du bullshit. Un nom en anglais dont on se réclame pour faire son intéressant, ou faire des publications LinkedIn remplies d’anglicisme. J’ai moi-même dû changer cette image auprès de certains de mes nouveaux collègues, très suspicieux sur mon rôle lorsqu’ils arrivaient. Ils finissaient pourtant tous par me dire au bout d’un certain temps : “mais en fait, c’est super ce que tu fais !”
Mais pourquoi en ont-ils douté dans un premier temps ? Et pourquoi la Growth a-t-elle en partie cette image en France ? Je pense que cette incompréhension n’est qu’une conséquence des 7 que je vous ai citées précédemment. À force d’entendre tout et n’importe quoi sur ce domaine, vu de l’extérieur on finit fatalement par en penser que ça ne tient pas debout. Et comme beaucoup de pseudo-influenceurs sur ce sujet n’en ont en fait qu'une compréhension très limitée, ils en donnent une image peu reluisante.
C’est en partie pour ça que j’ai décidé de commencer à écrire sur la Growth. Rester dans mon coin à maugréer sur les personnes donnant une mauvaise image de mon métier n’apportera pas grand chose. Mais si je peux modestement apporter ma contribution dans le développement d’une réelle compréhension de ce domaine, alors ce sera déjà beaucoup.
Si ça vous intéresse, n’hésitez pas à me laisser votre email pour être informé(e) de la sortie des prochains articles !