La Growth : ennemie ultime de l’écologie ?
“La croissance est-elle vraiment souhaitable ?”
C’est cette question que l’on m’a récemment posée à la fin d’une présentation de deux heures sur la stratégie Growth. Et je dois dire qu’elle m’a prise au dépourvu.
Cela fait bientôt 6 ans que je travaille dans ce domaine. Mais cela fait encore plus longtemps que je m’intéresse aux problématiques écologiques et en particulier au réchauffement climatique.
Je le sais donc parfaitement : la croissance économique est intimement liée à notre consommation d’énergie et donc au réchauffement climatique.
Mais alors comment puis-je travailler dans la croissance et continuer à me dire écolo ? Est-ce qu’il n’y a pas là un non-sens ? Et de manière générale, la Growth est-elle l’ennemie ultime de l’écologie ?
À retrouver dans cet article :
- Pourquoi la croissance détruit-elle la planète ?
- Croissance du PIB ou croissance tout court ?
- La Growth est-elle seulement de la croissance ?
Pourquoi la croissance détruit-elle la planète ?
Avant toute chose, il faut commencer par comprendre quel est le problème de façon objective.
La première chose à savoir, c’est le lien qui unit croissance économique et consommation d’énergie. Il a en effet été démontré que plus le PIB par habitant montait, plus la production d’énergie mondiale en faisait de même.
Pour vous en convaincre, je vous invite à regarder tout le travail mené par le Shift Project sur les liens entre notre économie et la consommation d’énergie. Le Shift Project a notamment été fondé par Jean-Marc Jancovici, l’une des personnes ayant le plus travaillé sur ce lien de causalité.
La production d’énergie mondiale étant très majoritairement fossile, on comprend que plus le PIB augmente, plus la consommation d’énergies fossiles augmente.
Jean-Marc Jancovici résume par ailleurs très bien le problème du mix énergétique mondial. Il utilise notamment souvent le graphique suivant pour montrer que les énergies renouvelables viennent s’additionner aux autres et non les remplacer :
La conséquence des deux éléments précédents est sans appel : la croissance économique, aujourd’hui principalement mesurée par le PIB, augmente notre consommation d’énergies fossiles. Or, ce sont principalement ces énergies qui génèrent des gaz à effet de serre.
Ces gaz viennent alors augmenter la température moyenne de notre planète, créant par effets successifs un certain nombre de catastrophes : inondations, cyclones, méga feux, canicules…
Et il y a pire : certaines des conséquences du réchauffement climatique viennent renforcer la génération de gaz à effet de serre (GES). C’est par exemple le cas lorsque des arbres brûlés libèrent le carbone qu’ils ont emmagasiné, ou lorsque la fonte du permafrost libère du carbone jusqu’ici prisonnier dans la glace.
Moi qui vous parle régulièrement de Growth Loops, voilà une boucle de rétroaction extrêmement dangereuse : on l’appelle la rétroaction climatique.
Si vous êtes intéressés de savoir comment les activités humaines et en particulier les énergies fossiles impactent le réchauffement climatique, je ne peux que vous inviter à participer à un atelier de la fresque du climat.
Chez LiveMentor, toutes les équipes ont réalisé cet atelier cette année. Il aide beaucoup à comprendre l’entièreté du phénomène, quel que soit le niveau de connaissance au départ de tous les participants.
En conclusion de cette courte démonstration, le constat est clair : la croissance économique détruit la planète.
Par conséquent, nous devrions forcément arrêter de faire de la Growth dès aujourd’hui, non ? Peut-être qu’en réalité, la question n’est pas si simple…
Croissance du PIB ou croissance tout court ?
De prime abord, on pourrait penser que la Growth et la croissance du PIB sont intimement liées. Mais cette relation n’est en réalité pas toujours vérifiée.
Utiliser les méthodes du Growth Marketing sur une entreprise ou un projet n’implique pas toujours d’augmenter la croissance économique ou l’utilisation d’énergies fossiles.
Je pourrais prendre comme exemple le fait de faire de la Growth pour développer une association écologiste. L'argument serait recevable, mais assez évident et facile.
Prenons plutôt l’exemple d’une grande réussite des startups françaises : BlaBlaCar. Si l’on considère que le marché de la mobilité est fixe, c'est-à-dire que chaque personne a besoin d’effectuer le même nombre de trajets chaque année, alors la croissance de BlaBlaCar n’a pas eu de réel impact sur la croissance du marché.
En prenant cette hypothèse, plus BlaBlaCar a grandi, plus elle a pris des parts de marché à des modes de mobilité concurrents, dont certains plus polluants. Il est en effet bien mieux, pour un même trajet, de prendre un covoiturage plutôt que sa voiture individuelle.
Avec cet exemple, on voit bien qu’il n’est pas toujours évident que la croissance d’entreprises à l’intérieur d’un marché implique la croissance du marché en question.
Cependant, il est important de prendre en compte ce que l’on appelle l’effet rebond. En effet, si je reprends l’exemple de BlaBlaCar, peut-être que le fait que ce mode de déplacement soit plus accessible financièrement entraîne que les gens voyagent plus.
Alors évidemment, lorsque l’on travaille pour une entreprise, on a toujours un impact. Mais l’on comprend bien en voyant les choses de cette façon que cela dépend tout de même énormément de pour qui on travaille.
Et donc de quelle entreprise on cherche à développer à travers les méthodologies de la Growth.
Cela me rappelle le très bon livre “Hooked” de Nir Eyal. Il consacre en effet l’entièreté d’un chapitre, intitulé “que ferez-vous de vos superpouvoirs ?” à la question de l’éthique dans le domaine de la psychologie et de la création d‘habitudes.
“Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités”. Alors, la question est sans doute plutôt de savoir au service de quoi vous mettrez vos connaissances, et si vous accepterez de vous imposer certaines limites.
Car la croissance, peut-être que ça n’est pas le but ultime de toute entreprise.
La Growth est-elle seulement de la croissance ?
Cela peut paraître idiot dit comme ça, mais vous allez voir que la question mérite d’être posée.
En effet, chaque entreprise, chaque projet n’a pas vocation à grandir indéfiniment, mais à accomplir un objectif. C’est du moins ma définition d’une vision saine du développement au sens large.
Partant de là, lorsque cette entreprise atteint son objectif, va-t-elle sur le champ licencier l’ensemble de son équipe Growth ? Probablement pas.
Pour une raison simple : la Growth, ça n’est pas que de la croissance. C’est aussi une vision stratégique qui permet de pérenniser son entreprise, de la rendre résiliente, ou même de développer ses aspects humains.
Un freelance peut développer son Referral, non pas pour obtenir toujours plus de clients, mais pour passer moins de temps à prospecter et ainsi consacrer son énergie à ce qu’il aime le plus faire.
Une entreprise peut construire sa Flywheel, non pas dans l’optique de générer toujours plus d’argent, mais dans le but de diversifier ses activités et ainsi devenir plus résiliente dans le cas où son activité principale viendrait à diminuer.
Les méthodologies de la Growth peuvent aider à être moins dépendant d’un canal d’acquisition unique. Ou à développer la marge, pour mettre de côté en cas de coup dur ou mieux redistribuer la valeur à toutes et tous au sein de l’entreprise.
Elles peuvent certes permettre de gagner plus d’argent. Mais vous pourriez tout aussi bien les utiliser pour gagner plus de temps, en gagnant autant d’argent. Et ainsi vous offrir, à vous ou aux autres employés, un mode de vie plus équilibré et une approche du travail plus saine.
Mais alors la Growth, est-ce que ça a vraiment le bon nom ? Ne devrait-on pas appeler ça de la stratégie ? Du développement ? De la résilience ?
En réalité, je pense que le problème est que lorsque nous entendons “croissance”, nous avons tendance à penser “croissance économique”.
Et c’est assez paradoxal de se dire que cette projection mentale a complètement effacé la définition originelle du mot. Alors même qu’elle est plus proche de symboles que nous attribuons à l'écologie : la croissance d’un arbre, la croissance d’une plante…
Nous devons nous réapproprier le terme de croissance. Et dans nos métiers, cela peut aussi passer par le fait d’utiliser la Growth pour ce qui est vraiment nécessaire et positif.